En septembre 1979, Patrick Baudry est pilote d’essais de l’Armée de l’Air et vient d’intégrer le Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge, dans le Sud de Paris, après sa formation à l’ETPS britannique. Il a 33 ans.
Pas spécialement très attentif aux affaires spatiales, il découvre par hasard une brève note de service sur le bureau de la secrétaire du personnel navigant qui attire son attention : le CNES recrute deux cosmonautes… Cela ressemble étrangement à un nouveau défi. Terriblement motivant !
Aucune contre-indication au départ : Patrick répond aux quelques critères généraux qui étaient demandés. Il est français, âgé de plus de 25 ans et de moins de 45 ans, mesure moins de 95 centimètres assis (c’est-à-dire moins de 1,81 mètre, taille dictée par le volume intérieur du vaisseau russe Soyouz), il pèse moins de 82 kilos, est en bonne santé générale, sans antécédents médicaux incompatibles avec un vol spatial, possède une acuité visuelle supérieure à 7/10 et un diplôme supérieur (Il a fait l’école de l’Air en 1967), et travaille depuis plus de deux ans (Il est pilote depuis dix ans !).
Après s’être assuré auprès de son supérieur, le colonel Varin, que cette démarche ne lui attirerait pas ses foudres (A son âge, il aurait probablement fait pareil), Patrick prend contact avec Monsieur Vieillefosse (chef de projet du vol PVH au CNES) qui était indiqué sur l’annonce. Il reçoit trois jours plus tard le « dossier », tout comme 400 autres candidats. Les dés sont, une fois de plus, jetés !
Patrick Baudry déclare souvent que la première épreuve véritable de la sélection est d’arriver à bout de cet imposant questionnaire, qui passe au crible l’état de santé, les études, le parcours professionnel et la psychologie du postulant. D’ailleurs, seulement 193 dossiers furent retournés complétés au CNES, dont 26 envoyés par des femmes. La tâche, fastidieuse, lui prit bien deux journées complètes !
Le premier « filtre » fut l’examen des dossiers par une commission médicale, constituée de médecins spécialisés de l’armée de l’Air. Elle en retint 176 et les transmit au CNES qui confia à un groupe d’ingénieurs, de scientifiques et d’administratifs, l’analyse des compétences liées au travail d’un cosmonaute expérimentateur. 72 candidats, dont il fit partie, furent jugés aptes à mener des expériences scientifiques, à apprendre le russe rapidement et à suivre une préparation théorique et physique. Ils furent convoqués au CPEMPN, le centre médical de l’armée de l’Air à Paris.
Pour les pilotes (45 % des candidats encore en course), cette convocation pouvait ressembler à une visite de routine. C’est au CPEMPN qu’ils passent, en effet, régulièrement leurs visites médicales d’aptitude. Mais ce ne fut pourtant pas le cas, bien au contraire : tout d’un coup, alors qu’ils se savaient parfaitement en forme, surgissait l’angoisse qu’un paramètre varie, qu’une faiblesse ou qu’une anomalie passagère apparaisse au moment justement où le médecin allait les examiner en détail. Car il n’y avait pas de seconde chance, toute défaillance était éliminatoire et les évictions des concurrents n’avaient rien pour les rassurer : ils étaient alors tout simplement passifs et prisonniers des caractéristiques de leur propre corps. Ce fut donc avec un immense soulagement qu’il arriva au terme de cette phase de la sélection, qui dura près d’une semaine.
L’étape suivante eut lieu au laboratoire de médecine aéronautique et spatiale (le LAMAS) de Brétigny où furent mise à l’épreuve leurs capacités de résistance aux supplices du tabouret tournant. Le test fut fatal à 40 candidats tandis que les 32 « survivants » retournèrent au CPEMPN pour de nouvelles auscultations des médecins qui durèrent encore une semaine ! Immédiatement suivies de trois jours d’entretiens avec des psychologues et des psychiatres… A l’issue de ces examens médicaux et psychologiques, ils n’étaient plus que 18. Vint alors la séance de centrifugeuse à Brétigny, qui réduisit encore le groupe de 11 personnes.
Il devenait de plus en plus difficile de départager les valeureux candidats restants, alors que le CNES ne devait en présenter que deux aux Russes. Une nouvelle sélection fut donc effectuée, plus intellectuelle que physique, afin de ne garder que 5 finalistes : Jean-Loup, Gérard Juin (pilote de ligne d’Air France, et ancien pilote de chasse de l’Armée de l’Air), Jean-Pierre Job (Commandant de l’escadron Normandie-Niemen et ancien leader de la Patrouille de France), Françoise Varnier (universitaire et pilote de planeur) et… Patrick Baudry.
Les choses s’accélérèrent – enfin – fin février 1980 puisqu’il fallut mener de front l’apprentissage du russe (avec 5 professeurs infatigables qui les suivaient partout) et qu’ils se familiarisent avec les techniques spatiales et le programme d’expériences. Durant 15 jours, « Le Club des Cinq » effectua des sauts en parachute à Pau. Jean-Loup et Françoise se cassèrent la jambe, Gérard se fit une entorse, mais ces accidents ne furent pas éliminatoires et lorsque la commission médicale russe vint à Paris les rencontrer, elle ne retint que les quatre hommes.
Ils partirent alors pour la Cité des Etoiles, dans la banlieue de Moscou. Leur arrivée semblait attendue, car, dans leurs souvenirs, ils s’étaient sentis épiés, un peu comme des bêtes sauvages et curieuses. Il faut bien se figurer que c’était alors l’époque de l’Union Soviétique, et que celle-ci venait d’envahir l’Afghanistan. Et, ils étaient, et restaient, aux yeux des Russes, quatre officiers (ou ancien officier ) de l’Armée de l’Air…Trois jours durant, ils durent subir des examens « complémentaires » qui consistaient tout simplement à confirmer les résultats obtenus par les spécialistes français, à quelques variantes près (une balançoire avait remplacé le tabouret tournant). Le séjour au prophylactorium se termina par une cérémonie très solennelle et émouvante : tout le gratin de la cosmonautique soviétique vint leur remettre leurs diplômes attestant de leurs capacités à voler dans l’Espace. Une fois acceptés, ils allaient bientôt découvrir la chaleur de l’hospitalité et du cœur des russes qui allaient devenir leurs amis. Mais il fallait encore écarter deux d’entre eux et un seul volerait au final sur ce premier vol !
La décision finale fut prise par le CNES le 11 juin 1980. Jean-Pierre et Gérard y avaient crû, jusqu’au bout, et furent félicités pour l’excellence de leur candidature. Ils furent, cependant, les derniers éliminés. Jean-Pierre Job était certainement le meilleur d’entre eux, mais la joie de Jean-Loup et celle de Patrick eurent raison tous leurs autres sentiments. Ils se mirent alors, aussitôt, à préparer leur départ vers ce qui allait être un entraînement dur mais merveilleux, avec des gens exceptionnels, à la Cité des Etoiles.
Le 24 juin 1982, Jean-Loup décollait de Baïkonour. Il emportait avec lui les efforts et les rêves de tous les membres d’une équipe, français et russes confondus, qui avaient tout donné pendant deux années pour que ce Premier Vol Habité soit un grande réussite. Il le fut sans conteste !